Vous trouverez ci-dessous une série de cas éthiques pouvant servir de base à une réflexion individuelle, une discussion collective ou une délibération en petits groupes. Certains sont un peu plus développés que d'autres, à titre d'exemples. Nous invitons les enseignant.e.s à creuser davantage les questions empiriques liées à chaque cas, avant d'entamer la discussion avec les étudiant.e.s, afin que l'essentiel de la discussion puisse porter sur les questions proprement éthiques.
Il nous paraît en tout cas essentiel d'attirer l'attention des étudiant.e.s sur l'importance de distinguer les questions empiriques, qui peuvent donner lieu à une recherche documentaire, des questions normatives, qui laissent place au jugement personnel et à la délibération collective. Une possibilité est de commencer, lors d'une première séance, par présenter une diversité de cas aux étudiant.e.s, de les laisser choisir ceux qui les interpellent le plus, puis de leur confier une recherche d'informations sur les questions empiriques sous-jacentes pour la séance suivante. Au début de la séance suivante, ils présentent les données empiriques récoltées et entament la délibération éthique.
Nous proposons ci-dessous deux outils pour aborder ces cas éthiques :
N'hésitez pas à nous écrire pour nous suggérer des cas éthiques intéressants !
Sommaire:
► Une série d'autres cas éthiques sont également référencés sur le site de l'Université de Sherbrooke, ou encore sur encore sur celui de l'Association lyonnaise Éthique économique et sociale.
► Voyez également en anglais le projet Justice in Schools de l'Université Harvard.
► Enfin, la base de données WebDeb archive les arguments employés dans le débat public à propos de sujets très variés, dont une série de cas éthiques intéressants.
Si l’analyse d’un cas éthique se fait en petit(s) groupe(s), voici un exemple de méthode de délibération éthique qui pourrait être imposée aux étudiant.e.s afin de structurer leurs échanges. L'idéal, pour une délibération de qualité impliquant tout le monde, est de constituer des groupes de 3 à 6 personnes. Les différents groupes peuvent ensuite rendre compte (brièvement) de leur délibération aux autres. Cette activité est faisable en 2h, la durée de délibération devant être calibrée en fonction du nombre de groupes qui présenteront ensuite le fruit de leurs discussions.
- Désigner un.e modérateur/trice, un.e avocat.e du diable et un.e rapporteur/euse. Le premier rôle s’assure que tout le monde a l’occasion de s’exprimer, que personne ne monopolise la parole, que la discussion reste constructive. Le second s’assure que le groupe pense bien à toutes les objections possibles et n’arrive pas trop facilement à un consensus. Le troisième fait une synthèse du processus de délibération afin d’en rendre compte aux autres groupes.
- Identifier les questions empiriques sous-jacentes, puis les devoirs, valeurs ou normes en conflit, ainsi que les conséquences probables de chaque option (voir protocole ci-dessous).
- Viser une réponse consensuelle, non pas en imposant le consensus à ceux qui ont un avis différent, mais en essayant de répondre à leurs objections.
- Si on n’obtient pas le consensus, voter et écrire l’opinion majoritaire ainsi que l’opinion minoritaire.
- Présenter aux autres groupes le cas, ses enjeux, et la décision du groupe ainsi que ses justifications éthiques.
Si l'on dispose d'un temps suffisant, il peut être enrichissant de laisser les autres groupes réagir par rapport aux justifications éthiques mises en avant. Dans cette discussion, il est important de déplacer l'attention de la position éthique prise par les membres du groupe vers la qualité des justifications éthiques proposées.
Voici une série de questions qu'il est utile de se poser avant de se prononcer sur un cas éthique. La démarche peut paraître fastidieuse, mais avec l'exercice, elle devient automatique et garantit une réflexion plus fine, qui ne se cramponne pas sur nos intuitions spontanées. Si malgré tout elle paraît trop longue, on peut se contenter des étapes 1, 2, 6 et 7.
- Quelles sont les questions empiriques soulevées par ce cas éthique ?
- Quelles sont les valeurs et/ou normes en jeu ?
- Quelles sont les différentes actions possibles et leurs conséquences probables ?
- Peut-on, en l’occurrence, n’agir qu’en fonction des conséquences probables ?
- Comment hiérarchiser les valeurs/normes en conflit ?
- Quelle action prescririons-nous ou choisirions-nous si nous avions à poser un choix ?
- Comment justifier cette prescription/action ?
Remarques :
- Il peut être plus facile de s’entendre sur la solution d’un cas éthique (point 6) que sur la justification de cette solution (point 7). En effet, des justifications différentes peuvent déboucher sur des recommandations identiques. C’est pour cette raison qu’il faut voir d’abord si on ne peut pas s’entendre sur la décision avant d’essayer de s’entendre sur la justification.
- S’exercer à la justification est néanmoins utile afin de faire apparaître explicitement le fondement éthique de nos jugements et d’éventuellement comparer différentes approches éthiques.
Salaire minimum
La fonction d’un salaire minimum est de s’assurer que ceux et celles qui travaillent reçoivent une rémunération décente, ne soient pas (ou pas trop) exploité.e.s. Prendre la décision d’instaurer un salaire minimum pose d’abord une série de questions empiriques, dont : Quels seront les effets sur le taux d’emploi ? Cela empêchera-t-il certaines entreprises d’engager ? Cela réduira-t-il les pièges à l’emploi ? Cela est-il de nature à stimuler la demande ?
Se posent également une série de questions normatives telles que : Pourquoi ne pas laisser le marché fixer les salaires ? Que faire si cela augmente le taux de chômage ? N’est-il pas prioritaire de rehausser les revenus des personnes sans emploi ? Pourquoi ne pas préférer un crédit d’impôt pour les bas revenus ou un impôt négatif ?
Ressources :
- http://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/smic-argumentaire-et-contre-145210
- https://voir.ca/chroniques/prise-de-tete/2016/06/07/ce-fascinant-debat-sur-le-salaire-minimum/
Salaire maximum
Face à l’ampleur des inégalités de revenu dans les sociétés contemporaines, certains préconisent l’introduction d’un salaire maximal. De même que certains pays reconnaissent un niveau de salaire en-dessous duquel personne ne peut être payé, on définirait un niveau de revenu que personne ne pourrait dépasser. À titre d’exemple, certaines entreprises coopératives fixent un écart maximal entre le salaire le plus bas et le plus haut.
Questions empiriques : Y a-t-il un risque qu’une telle pratique encourage les délocalisations ? La fraude ? Quels autres impacts économiques (négatifs ou positifs) peut-on imaginer ?
Questions normatives : Pourquoi ne pas laisser le marché fixer les salaires ? Pourquoi ne pas préférer un impôt progressif sur le revenu (mais qui n’attendrait jamais 100%) ? Existe-t-il un écart de revenu juste ? Quelles inégalités de revenu sont justifiées et lesquelles ne le sont pas ?
Ressources :
- https://humanite.fr/sports/le-salaire-maximal-idee-incontournable-490868
- http://www.atlantico.fr/decryptage/hauts-salaires-fiscalite-salaire-maximum-130777.html
- https://www.20minutes.fr/economie/700577-20110404-economie-faut-il-plafonner-salaires-patrons-oui-les-echelles-salaires-dirigeants-completement-folles
Allocation universelle
L’allocation universelle, également appelée « revenu de base » ou « revenu universel », désigne un revenu distribué à tou.te.s les citoyen.ne.s d’un pays sur base individuelle, indépendamment de leurs revenus[3] et sans condition de recherche d’emploi.
Certains y voient un instrument permettant : de lutter efficacement contre la pauvreté du fait de son caractère « automatique » et inconditionnel ; de lutter contre l’exploitation des travailleurs en leur offrant le pouvoir de refuser des emplois dégradants ; d’encourager un meilleur partage du travail ; de réduire certaines situations de dépendance financière au sein des ménages ; etc.
D’autres y voient au contraire un danger d’affaiblissement de la protection sociale (une allocation universelle généreuse étant impossible à financer), de découragement de la solidarité syndicale, d’incitation pour les femmes à rester au foyer, voire une prime à la paresse aux conséquences économiques potentiellement désastreuses.
Questions empiriques : Peut-on financer une allocation universelle généreuse ? Comment ? Est-ce politiquement plausible ? Quel serait l’impact sur l’emploi ? Qui serait bénéficiaire net ? Peut-on obtenir les mêmes résultats en brassant moins d’argent ?
Questions normatives : Est-ce éthiquement acceptable d’offrir un revenu sans condition de contribution ? Faut-il donner aux travailleurs/euses le pouvoir de refuser des emplois ? Faut-il préférer l’argent aux services publics ? Dans quelle mesure ? Est-ce une manière de renoncer à la lutte contre les inégalités de marché ? Contre le capitalisme ?
Ressources :
-Yannick Vanderborght et Philippe Van Parijs, L’allocation universelle, Paris, La Découverte, 2005.
-Mateo Alaluf et Daniel Zamora, Contre l’allocation universelle, Montréal, Lux, 2017.
-Pierre-Étienne Vandamme, "Revenu universel", dans L'Encyclopédie philosophique, 2020.
Faut-il boycotter les produits de l’exploitation ?
Certains biens que nous consommons sont produits dans des pays où les travailleurs sont très peu protégés et travaillent dans des conditions dangereuses pour la santé en échange de salaires de misère. Au vu de cette situation, devrions-nous boycotter ces produits ?
Questions empiriques : Quel est l’impact d’actions de boycott ? Comment savoir dans quelles conditions sont produits les biens que nous consommons ? Ces travailleurs seront-ils mieux lotis si leur entreprise fait faillite ? Le commerce international permet-il aux pays concernés d’élever progressivement leur niveau de vie (et leurs standards sociaux) ?
Questions normatives : Ne doit-on pas refuser par principe de prendre part à une telle exploitation des travailleurs ? Doit-on viser les meilleures conséquences possibles pour les personnes, quels que soient les moyens ?
Ressource :
Roland Pierik, « Fighting Child Labor Abroad : Conceptual Problems and Factual Conditions » dans Verna Gehring (éd.), The Ethical Dimensions of Global Development, 2007, p. 47-57.
Faut-il interdire la publicité ?
La publicité est souvent associée à la liberté d’expression. Il s’agit en effet pour ceux qui ont un produit ou un service à offrir de communiquer des informations au grand public sur ce produit ou service. Au vu de la place qu’a prise cette forme de communication dans le monde contemporain, la question se pose de savoir si elle apporte plus de bonnes choses que de mauvaises. Des sommes astronomiques et en inflation constante sont dépensées par les entreprises privées pour obtenir plus de présence ou d’influence publicitaire que leurs concurrentes. La pression à la consommation que cela génère pose problème d’un point de vue environnemental, si pas des problèmes de santé. On peut donc se demander si la pratique ne devrait pas, en dépit de la liberté d’expression, être interdite ?
Questions empiriques : Une telle interdiction est-elle pratiquement possible ? Quel serait son impact sur la consommation ? Sur la pollution ? Sur l’emploi ? Sur la santé des citoyen.ne.s ? Sur les entreprises ?
Questions normatives : La liberté d’expression est-elle absolue ? Peut-elle être limitée en vertu de considérations de justice intergénérationnelle ? De santé publique ? Cela ne reviendrait-il pas à imposer une vision du monde anticonsumériste ? L’État ne doit-il pas intervenir face à un tel gaspillage de ressources ?
Faut-il interdire les publicités sexistes ?
Bon nombre de publicités contribuent à renforcer des stéréotypes genrés. Beaucoup, en particulier, manifestent un certain sexisme en confinant les femmes dans des rôles subordonnés. Au vu de cette situation, certains estiment que ce genre de publicités devraient être interdites.
Cela soulève de nombreuses questions normatives telles que : S’agirait-il d’une atteinte à la liberté d’expression ? L’État doit-il promouvoir un certain type de relations entre hommes et femmes ? Un certain modèle féminin ? En s’abstenant, n’accepte-t-il pas au contraire que ces modèles soient dictés par les publicistes ? Pourquoi s’en prendre au sexisme en particulier ? Doit-on craindre un risque de pente glissante vers un État interférant excessivement avec la liberté d’expression ?
Faut-il interdire la publicité pour l’alcool et les cigarettes ?
L’alcool et les cigarettes sont responsables de milliers de morts chaque année dans le monde. Dans ce contexte, est-il acceptable que l’État autorise la publicité pour ces produits mortels ? Serait-ce différent d’autoriser la commercialisation d’un poison ayant bon goût mais ne tuant qu’une personne sur 100 ? L’État doit-il interférer dans la liberté de choix (incluant la liberté de mettre sa santé en danger) ? A-t-il au contraire pour mission de protéger la santé de ses citoyens même contre leur gré ? Est-ce suffisant d’accompagner ces publicités de messages encourageant une consommation responsable ?
Faut-il défiscaliser les dons ?
En Belgique, les personnes qui effectuent des dons à des associations caritatives peuvent obtenir une réduction d’impôts proportionnelle au montant de ces dons. L’objectif est d’inciter à la générosité envers ces associations. Est-ce une bonne idée ?
Questions empiriques : Les dons ont-ils augmenté depuis qu’ils permettent une réduction fiscale ? Quelle part des donneurs serait tout aussi généreuse sans cette incitation ? Qui de l’État ou des associations est le mieux habilité à agir pour un monde meilleur ? Une telle pratique encourage-t-elle la générosité ou l’évitement de l’impôt ?
Questions normatives : Faut-il inciter les citoyens à faire des dons aux associations caritatives ? Faut-il le faire au détriment des impôts ? N’est-ce pas une forme de constat d’échec de la part de l’État ? L’État doit-il déléguer une part de son pouvoir d’agir aux associations ? La défiscalisation est-elle une manière adéquate d’encourager la générosité ? Ne faudrait-il pas plutôt encourager à payer ses impôts ? Ou mieux communiquer sur les actions que permettent les impôts ?
Ressources :
- https://www.lesechos.fr/11/12/2015/lesechos.fr/021530880841_comment-adoucir-son-impot-grace-aux-dons.htm
- https://www.la-croix.com/Archives/2009-07-23/Pour-ou-contre-defiscaliser-les-dons-et-l-investissement-dans-les-PME-_NP_-2009-07-23-350041
Blanchir la peau ?
Certaines entreprises cosmétiques vendent des produits visant à se blanchir la peau. L’origine d’une telle pratique esthétique est aisée à deviner : c’est un résidu du racisme blanc et de la hiérarchie qu’il établit entre différentes couleurs de peau. Dès lors, est-il moralement acceptable pour une entreprise de commercialiser un tel produit au seul prétexte qu’il existe une demande pour celui-ci ?
Questions empiriques : ces produits ont-ils un autre usage ou d’autres vertus que le blanchiment de la peau ? Quels sont les différents motifs pour lesquels une personne pourrait vouloir se blanchir la peau ? Quels sont les effets marketing d'actions anti-racistes de la part d'entreprises (voir article du Monde ci-dessous) ?
Questions normatives : la recherche du profit doit-elle être la seule maxime d’action des entreprises ? Les entreprises doivent-elles s’abstenir de juger les actes des consommateurs ? Doivent-elles s’imposer une éthique commerciale ? Doivent-elles être encouragées à agir de la sorte ? Devraient-elles y être obligées ?
Ressources :
https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/06/27/les-geants-des-cosmetiques-tentent-de-purger-leurs-marques-de-tout-stereotype-raciste_6044418_3234.html
https://www.lemonde.fr/international/article/2020/06/29/pourquoi-les-marques-sont-presque-toujours-perdantes-quand-elles-s-engagent-contre-le-racisme_6044616_3210.html
Discrimination positive discrétionnaire
Quand un.e employeur/euse fait face à deux candidat.e.s à qualités professionnelles égales ou suffisamment proches, doit-il/elle privilégier les candidat.e.s appartenant à un groupe social désavantagé (femmes, étrangers, personnes issues de l’immigration, porteuses d’un handicap, d’un accent déprécié, de petite taille, au physique désavantageux, etc.) ?
Questions empiriques : quels sont les critères de discrimination interdits par la loi ? Cette interdiction inclut-elle la discrimination positive discrétionnaire (c’est-à-dire laissée à l’appréciation de l’employeur/euse) ? Quels seraient les risques d’une telle pratique ? Les bénéfices ? Les effets pervers éventuels ?
Questions normatives : la discrimination est-elle moralement acceptable quand son intention est de compenser un désavantage préalable ? La possibilité de faire de la discrimination positive doit-elle être laissée à l’appréciation des employeurs/euses ou faire l’objet de politiques publiques ? Quels critères de discrimination positive pourraient être acceptables et lesquels ne le seraient pas ? Un.e employeur/euse peut-il/elle poser des questions sur la vie privée de candidat.e.s (orientation sexuelle, situation familiale, etc.) à des fins de discrimination positive ?
Discriminer pour accueillir davantage d'immigrés ?
La plupart des pays riches font face à une certaine pression migratoire due au fait qu'un grand nombre de personnes souhaitent accroître leur qualité de vie (et celle de leurs proches) en s'installant dans un pays offrant de meilleures perspectives économiques. Ces pays sont généralement assez peu ouverts à une telle immigration économique, craignant qu'une politique de frontières ouvertes représente un coût excessif pour le budget de l'État. Si toute immigration n'est pas coûteuse pour le pays d'accueil (au contraire, les immigrés trouvant du travail deviennent vite une source de revenus supplémentaires pour l'État, par leurs taxes, cotisations ou innovations), la crainte est d'accueillir un grand nombre de personnes peu qualifiées et ne parlant pas une langue nationale, ce qui complique la recherche d'emploi et est susceptible d'avoir des répercussions sur le budget de l'assistance sociale, à laquelle ont généralement droit les immigrés légaux. Arguant du fait que la générosité des conditions d'accueil (en particulier l'accès à l'assistance sociale) empêche d'accueillir davantage de monde, certains proposent de limiter (temporairement) l'accès à la protection sociale des immigrés légaux. Cela permettrait à la fois d’accueillir davantage de personnes et de les inciter à immigrer là où il est plus aisé de trouver du travail plutôt que là où la protection sociale est la plus généreuse.
Questions empiriques : Quels sont les effets de différents types d'immigration sur l'économie des pays d'accueil ? Quelle est la proportion d'immigrés bénéficiant de l'assistance sociale par rapport à ceux qui ont un emploi ? Quelle est la durée moyenne d'inscription des nouveaux venus dans le marché de l'emploi ? Quels sont les effets de l'émigration pour les pays d'origine ? L'immigration des pays pauvres vers les pays riches réduit-elle les inégalités mondiales ?
Questions normatives : La discrimination est-elle moralement acceptable quand ses conséquences sont positives pour le groupe discriminé pris dans son ensemble ? Est-il acceptable d'instaurer un régime de citoyenneté de seconde classe ? Si la discrimination est temporaire, est-elle plus acceptable ? Vaut-il mieux être généreux avec peu de personnes ou moins généreux avec un plus grand nombre ? Les nombres comptent-ils dans le raisonnement moral ?
Ressources :
Branko Milanovic, "There is a trade-off between citizenship and migration", Financial Times, 20 avril 2016.
Branko Milanovic, Global Inequality: A New Approach for the Age of Globalization, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 2016.
Anna Stilz, « Guestworkers and second-class citizenship », Policy and Society, 29 (4), 2010, p. 295-307
Avortement
L’interruption volontaire de grossesse, ou avortement, a toujours suscité d’importants débats, en particulier dans les sociétés très religieuses, où beaucoup estiment que la vie humaine est sacrée et qu’on ne peut mettre un terme à une vie humaine, aussi embryonnaire soit-elle. Les partisans d’une autorisation de l’avortement (dans des conditions à spécifier, comme l’âge limite du fœtus) mettent généralement en avant la liberté des femmes de disposer de leur corps comme elles l’entendent, et nient souvent le statut de « personne » du jeune fœtus.
Un débat philosophique important porte donc sur le statut de personne, car on considère souvent que l’interdit du meurtre ne s’applique qu’aux personnes. À partir de quel stade de développement un embryon acquiert-il les attributs d’une personne ? Avant ou au moment de la naissance ? L’avortement peut-il être acceptable même si l’embryon a déjà certains attributs d’une personne ? Si l’on condamne le fait de tuer des animaux, cela devrait-il avoir un impact sur notre rapport à l’avortement ?
Certains prétendent toutefois que cette question de l’accès au statut de personne n’est pas centrale. Ce qui est en jeu, c’est plutôt la liberté de disposer de son corps, ou encore la liberté de se débarrasser d’un corps intrusif, non désiré[1]. Cela soulève également beaucoup de questions. Des hommes peuvent-ils décider pour des femmes ce qu’elles doivent faire de leurs corps ? Peut-on dire qu’il s’agit de disposer de son propre corps quand un autre corps est en développement à l’intérieur ?
Enfin, une partie du débat porte sur les conséquences de la légalisation ou de l’interdiction de l’avortement. Ainsi, beaucoup de partisans de la légalisation font valoir le fait que l’avortement est inévitablement pratiqué et qu’il l’est dans des conditions dangereuses pour les femmes en l’absence d’un accompagnement médical adéquat. Le fond de la question est empirique, mais elle soulève également des questions éthiques telles que : Devrait-on donner priorité à la santé et à la vie des femmes par rapport à la vie des embryons ? Les risques qu’encourent les femmes qui avortent sans suivi médical adéquat suffisent-ils à justifier la légalisation de l’avortement ?
Ressource :
https://ledrenche.fr/2017/06/histoire-le-combat-de-simone-veil-faut-il-autoriser-livg/
Euthanasie
L’euthanasie pose débat, d’un point de vue éthique, du fait qu’il s’agit d’une pratique à mi-chemin entre le suicide, qui est souvent considéré comme relevant de la liberté de choix individuelle, et le meurtre, qui est universellement proscrit. On parle d’ailleurs souvent à ce sujet de « suicide assisté ».
Les questions soulevées sont essentiellement d’ordre normatif : aider quelqu’un à mourir est-il assimilable à un meurtre ? Le consentement de la personne qui souhaite mourir change-t-il le statut de ce geste ? Quelles sont les conditions nécessaires pour qu’on puisse établir le consentement ? Faut-il imposer un âge minimum pour avoir accès à l’euthanasie en plus des autres exigences de consentement éclairé ? Peut-on juger le rapport d’autrui à sa souffrance ? Faut-il tenir compte du risque que certains soient encouragés à demander l’euthanasie pour des raisons budgétaires ?
Ressource :
https://ledrenche.fr/2015/01/faut-il-autoriser-leuthanasie-en-france/
Diagnostic prénatal
La technologie médicale actuelle permet de détecter un certain nombre de malformations génétiques avant la naissance. Récemment, l’État belge a décidé de rembourser une analyse sanguine permettant de détecter notamment la trisomie 21 dans le premier trimestre de grossesse. Ceux qui s’opposent à l’avortement sont susceptibles de percevoir cela comme une incitation à avorter quand une malformation se présente. Pour d’autres, il s’agit de permettre aux parents d’être informés par rapport aux risques que leur futur enfant encourt. Quoi qu’on pense de l’avortement, cette nouvelle possibilité pose la question de l’eugénisme, à savoir la sélection avant la naissance des individus dotés du meilleur patrimoine génétique.
Questions empiriques : Quel est l’impact de cette pratique sur les taux d’avortement ? Comment le dilemme éthique qui peut se présenter aux parents (avorter ou pas ?) est-il vécu par eux ? Quel est le coût annuel d’un remboursement de cette analyse pour tous les citoyens belges ?
Questions normatives : Faut-il tout faire pour que les futurs parents soient pleinement informés du patrimoine génétique de leur futur enfant ? Peut-on considérer cela comme un encouragement à l’avortement ? À l’eugénisme ? Si c’est le cas, est-ce un problème ? Toute forme de vie doit-elle être protégée ? Peut-on dire qu’il est dans l’intérêt du futur enfant de naître ou de ne pas naître ? Peut-on juger à la place de ce futur enfant quelle vie mérite d’être vécue ? Les intérêts des parents sont-ils prioritaires par rapport à ceux de l’enfant potentiel ?
Ressource :
https://www.rtbf.be/info/societe/detail_le-test-prenatal-rembourse-un-test-plus-fiable-et-moins-dangereux?id=9619672
Gestation pour autrui
La gestation pour autrui (GPA) consiste à assumer une grossesse pour quelqu’un d’autre, c’est-à-dire que l’enfant, une fois né, est « donné » par la mère à la personne à laquelle elle rend ce « service ». Certains pays autorisent cette pratique seulement quand elle est volontaire et non rémunérée. D’autres autorisent une rémunération en échange du service.
Questions empiriques : La rémunération encourage-t-elle la pratique ? Beaucoup de femmes sont-elles contraintes à faire cette action, soit par la force, soit par nécessité économique ? Quel peut être l’impact sur l’enfant ? Les liens d’attachement prénataux avec la mère porteuse sont-ils réels ? Quelle est leur importance dans le développement de l’enfant ?
Questions normatives : En l’absence de toute contrainte, cet acte pose-t-il un problème éthique ? Le fait qu’elle permette à certaines personnes d’avoir un enfant alors qu’elles sont stériles l’emporte-t-il sur les éventuels effets négatifs de cette pratique ? Pourquoi accepterions-nous l’adoption, mais pas la GPA ?
Ressources :
https://ledrenche.fr/2016/09/pour-ou-contre-la-gpa-1013/
http://www.laviedesidees.fr/Pour-une-conception-neutre-de-la-Gestation-Pour-Autrui.html
Encadrer la circoncision féminine ?
Il existe une pluralité de pratiques de circoncision féminine, dont l’excision, qui consiste en l’ablation (d’une partie) du clitoris externe. Il s’agit d’une pratique traditionnelle très ancienne exercée essentiellement en Afrique, mais aussi dans certaines communautés d’Asie et d’Amérique du Sud. Elle marque un rite de passage, à l’instar de la circoncision masculine. Cette dernière, plus largement pratiquée, est moins controversée[2], à la fois parce qu’elle entraîne moins de douleurs et parce qu’elle est parfois recommandée pour raisons médicales (controversées).
En Amérique du Nord, des médecins se sont rendus compte que le nombre d’opérations de circoncision féminine n’avait pas diminué malgré les campagnes de dissuasion et ont dès lors opté pour une position de compromis : proposer d’opérer les jeunes filles, mais avec des mutilations plus légères, à l’hôpital, dans de bonnes conditions d’hygiène, plutôt que les laisser être opérées illégalement dans des conditions (extrêmement) douloureuses et dangereuses pour la santé. Actuellement, cependant, l’Organisation mondiale de la santé interdit aux médecins de pratiquer ce type d’opération. Cela suscite un débat éthique intéressant.
Questions empiriques : Quel effet aurait la légalisation sur les taux les pratiques ? Que savons-nous des souffrances et risques liés à cette pratique dans les conditions actuelles ?
Questions normatives : Doit-on protéger l’intégrité physique à tout prix ? Doit-on trouver un équilibre entre ce droit et le respect des pratiques culturelles ? La question prioritaire est-elle plutôt celle des risques sanitaires ?
Ressources :
- Arora KS, Jacobs AJ. « Female genital alteration: a compromise solution », Journal of Medical Ethics 42, 2016, p. 148-154.
- Andro Armelle, Lesclingand Marie, « Les mutilations génitales féminines. État des lieux et des connaissances », Population, 2016/2 (Vol. 71), p. 224-311.
Faut-il légaliser le dopage ?
Le dopage consiste à améliorer ses performances sportives ou physiques par le biais de produits interdits (ou du moins interdits dans le sport concerné). Outre les questions de santé, qui soulèvent des enjeux similaires à la consommation d’alcool ou de cannabis, se posent des questions distinctes telles que : Interdire le dopage n’est-il pas une manière de favoriser les plus fourbes, ceux qui passent entre les mailles du filet lors des contrôles ? Les compétitions sportives ne seraient-elles pas plus équilibrées si tout le monde avait le droit de se doper ? Ne serait-ce pas plus égalitaire qu’une compétition favorisant les talents naturels ? Au contraire, est-ce que cela créerait de nouvelles inégalités en raison du coût des produits dopants ?
Ressources :
- https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2012-2-page-321.htm
- https://www.franceculture.fr/emissions/science-publique/club-science-publique-faut-il-legaliser-le-dopage-sportif
- http://www.lalibre.be/sports/omnisports/et-si-nous-legalisions-le-dopage-51b8ef72e4b0de6db9c791d8
Faut-il arrêter de subsidier l’homéopathie ?
Il semble exister un certain consensus scientifique sur le fait que l’homéopathie n’a pas plus d’efficacité médicale qu’un placebo. Pourtant, de nombreux pays assurent le remboursement (partiel) de produits homéopathiques prescrits par des médecins. Est-ce justifiable, sachant que les ressources de l’État sont limitées et que cet argent pourrait-être mieux utilisé ?
Questions empiriques : L’effet placebo est-il significatif ? Un arrêt des remboursements aurait-il un effet négatif sur la santé publique en raison de cet effet placebo ? Au contraire, cela encouragerait-il les gens à se tourner vers des médicaments plus efficaces ?
Questions normatives : Ne faut-il pas laisser aux gens la liberté de choix par rapport à leurs traitements médicaux ? Faut-il au contraire décourager les pratiques médicales dont l’efficacité est douteuse ? Notre position doit-elle dépendre du degré de consensus de la communauté scientifique par rapport à l’homéopathie ?
Ressources :
Ce cas s’inspire directement de Steve Clarke, « Homeopathy : an undiluted proposal », dans David Edmonds (dir.), Philosophers Take on the World, Oxford University Press, 2016, p. 39-41.
Prémunir les hommes contre la violence ?
Un simple coup d’œil sur les statistiques concernant les actes de violence et les taux d’incarcération permet de se rendre compte que les hommes sont en moyenne beaucoup plus enclins à la violence que les femmes. Cela s’expliquerait en partie, outre par une éducation différenciée en fonction du genre, par des facteurs biologiques tels que l’impact de la testostérone sur la disposition à la violence. Si nous disposions d’un traitement hormonal permettant de réduire la disposition des hommes à la violence, faudrait-il l’imposer à tous ?
Cette possibilité soulève une série de questions éthiques : Pourquoi accepterions-nous des traitements différenciés en lien avec les risques de cancer (prostate ; sein) et pas en lien avec les risques de violence ? Pourrait-ce paraître irrespectueux de considérer les hommes comme plus enclins à la violence ? Faudrait-il isoler des catégories plus restreintes de la population encore plus enclines à la violence et ne traiter que celles-là ? En quoi cela se distinguerait-il de l’eugénisme ? De la vaccination ?
Ressources :
Paula Casal, « L’amour, pas la guerre. Sur la chimie du bien et du mal », Projections, 25 mars 2016.
Les voitures autonomes
Depuis 2012, Google avance dans le développement de voitures sans conducteur. Ces voitures sont programmées pour minimiser les risques d’accident, mais elles sont également programmées à se comporter d’une certaine façon en cas d’accident inévitable. Dans ces cas-là, devrait-on les programmer à réagir de façon utilitariste ? Une telle voiture devrait-elle sacrifier ses passagers si cela permet d’éviter un nombre plus important de victimes ? Lorsque cette technologie sera plus développée et moins coûteuse, deviendra-t-il légitime d’imposer l’achat de tels véhicules pour minimiser le nombre d’accidents ?
Ressources :
- http://moralmachine.mit.edu/hl/fr
- http://www.lemonde.fr/sciences/article/2016/06/23/tuer-un-pieton-ou-sacrifier-le-passager-le-dilemme-macabre-des-voitures-autonomes_4956924_1650684.html
- http://www.quebecscience.qc.ca/Normand_Baillargeon/ethique-des-voitures-autonomes
Données d’expériences médicales nazies
Durant la seconde guerre mondiale, dans les camps de concentration, des scientifiques nazis ont mené une diversité d’expériences sur des prisonniers (sans leur consentement éclairé, s’il est besoin de le préciser). Beaucoup de ces expériences ont entraîné la mort, parfois violente ou extrêmement douloureuse, des « cobayes ». Nul doute, d’un point de vue éthique, que ces expériences sont condamnables. Il reste que certains résultats de ces expériences ont un intérêt scientifique, notamment sur la survie en hypothermie ou l’exposition à certains gaz. Serait-il dès lors acceptable d’utiliser ces données scientifiques à des fins éthiquement souhaitables (guérir, prévenir, voire sauver des vies) ?
Questions empiriques : quelle est la valeur scientifique des données en question ? Quels seraient les bénéfices attendus de leur exploitation ? Quel serait l’impact sur les survivants ou familles de victimes des camps ? Quel serait l’impact symbolique sur l’éthique de la recherche ?
Questions normatives : devons-nous nous focaliser sur les seules conséquences d’une exploitation de ces données ? Devrions-nous au contraire nous donner pour principe de ne jamais tirer bénéfice d’un crime commis par autrui ? Si les bénéfices scientifiques d’une exploitation des données étaient énormes, est-ce que nous changerions d’avis ? En quoi ce cas est-il éthiquement différent d’une transplantation d’organes de victimes de meurtre ?
Ressource :
Ce cas est emprunté à Lynn Gillam, « Is it ethical to use data from nazi scientific experiments? », dans David Edmonds (dir.), Philosophers Take on the World, Oxford University Press, 2016, p. 55-57.
Expériences médicales sur des animaux
De nombreux médicaments ou traitements sont aujourd’hui testés sur des animaux ayant un patrimoine génétique proche de l’humain (le plus souvent des souris, rats ou lapins) afin de vérifier leurs effets avant de les commercialiser. (Ces tests sont même parfois obligatoires.) Il arrive bien entendu que ces expériences soient douloureuses, voire mortelles pour les cobayes. Que devons-nous en penser d’un point de vue éthique ?
Questions empiriques : les résultats de l’expérimentation animale peuvent-ils être extrapolés aux humains ? L’expérimentation animale engendre-t-elle une amélioration de la santé humaine ? Quelles seraient les alternatives ? Quels seraient les risques pour les humains si l’on se passait de cobayes ? Combien d’animaux sont utilisés chaque année à de telles fins ? Comment la pratique est-elle encadrée ? Quelles souffrances animales sont-elles admises/interdites ?
Questions normatives : est-il moralement acceptable d’utiliser les animaux pour promouvoir le bien-être des humains ? Tous les animaux ou seulement certains ? Quel serait alors le critère de démarcation ? Si l’on refuse d’utiliser des animaux comme cobayes, peut-on décider d’utiliser des humains consentants ? Est-ce que toutes les expériences avec des animaux sont éthiquement justifiés ou y en a-t-il qui sont éthiquement problématiques ? Les comités d’éthique sont-ils suffisants pour juger l’acceptabilité des expériences ? Quels principes éthiques devraient guider notre utilisation des animaux dans la recherche ?
Ressource :
https://ledrenche.fr/2015/06/139pour-ou-contre-les-experimentations-medicales-sur-les-animaux/
Internet et le droit à l’oubli
Dans nos sociétés de l’information, de nombreuses données nous concernant sont accumulées et stockées pendant des décennies. Pour une personne qui a commis des erreurs et s’en repent, tourner le dos au passé est extrêmement difficile. Tout employeur potentiel, par exemple, peut assez aisément retrouver la trace d’erreurs passées. Dans ce contexte, devrions-nous reconnaître un droit à l’oubli (c’est-à-dire le droit de demander le retrait d’internet de certaines informations) et chercher les moyens de le garantir ? C’est en tout cas une question sur laquelle la France et la Commission européenne se penchent depuis quelques années.
Questions empiriques : Est-ce techniquement imaginable ? Comment pourrait-on s’y prendre pour garantir ce droit ? Y a-t-il des risques que le droit à l’oubli soit utilisé à mauvais escient ?
Questions normatives : Devrions-nous avoir le droit de repartir d’une page blanche ? Cela dépend-il du type d’erreur(s) que nous avons commise(s) ? Devons-nous au contraire assumer toute notre vie la responsabilité et les conséquences de nos erreurs passées ? Y a-t-il une durée après laquelle nous devrions accepter d’oublier les torts commis dans le passé ? Le droit d’exiger le retrait de certaines informations n’est-il pas contraire aux normes de publicité et de transparence des informations ?
Ressource :
Marc-François Bernier et Meghann Dionne, « Le ‘droit à l’oubli’, le nouveau défi éthique des médias », Chaire de recherche en éthique du journalisme.
Polygamie
La polygamie désigne le fait pour un homme d’être marié à une pluralité d’épouses ou pour une femme d’avoir plusieurs époux. C’est une pratique courante dans certaines régions du monde – en particulier dans le monde musulman, mais aussi dans certaines communautés chrétiennes comme les mormons –, mais largement minoritaire en Europe, où le mariage est historiquement associé à l’union de deux personnes. Cette définition du mariage est cependant remise en cause.
Le débat porte généralement sur la reconnaissance légale des unions polygames, sachant qu’il est difficile pour l’État d’interdire les relations à plusieurs sans se montrer très intrusif. L’argument principal en faveur d’une reconnaissance légale est la liberté individuelle de choisir ses partenaires de vie ainsi que leur nombre (aujourd’hui imposé par l’État). Cela soulève cependant une série de questions.
Empiriques : Quel pourcentage de concubines entrent dans une relation polygame sous la contrainte ? Reconnaître la polygamie encouragerait-il le nombre d’unions polygames ? Cela permettrait-il de mieux protéger les femmes concernées ?
Normatives : L’État a-t-il à promouvoir un type d’union (à deux personnes) ? Doit-il s’immiscer dans ce genre de choix ? Doit-il considérer cette pratique comme défavorable aux femmes ?
Homoparentalité
Certains pays reconnaissent aux couples homosexuels le droit d’adopter des enfants, voire d’en concevoir par procréation médicalement assistée. Les principales questions empiriques en jeu consistent à savoir s’il est nécessaire pour le bon développement d’un enfant d’avoir un parent de chaque sexe et si avoir des parents homosexuels peut être néfaste pour un enfant.
Autour de ce débat, se posent de nombreuses questions normatives, telles que : L’État doit-il promouvoir un modèle parental précis ? Si l’on pense qu’un parent de chaque sexe est nécessaire, faudrait-il interdire d’élever un enfant seul ? Si l’on considère que certaines catégories de la population font de meilleurs parents que d’autres (comme les hétérosexuels par rapport aux homosexuels), faudrait-il priver d’autres catégories du droit d’être parent ?
Faut-il légaliser le cannabis ?
De nombreux pays autorisent la vente d’alcool et de cigarettes, mais pas de cannabis. Beaucoup jugent cette situation incohérente. Faudrait-il légaliser la vente et l’achat de cannabis ?
Les débats portent en partie sur des questions empiriques : Le cannabis est-il plus addictif que l’alcool et les cigarettes ? Est-il plus nocif pour la santé ? Quels seraient les effets économiques d’une légalisation ? Cela diminuerait-il la criminalité liée à ce commerce ? Cela encouragerait-il au contraire une consommation accrue, au détriment de la santé publique ?
D’un point de vue normatif, on retrouve des questions telles que : L’État doit-il interférer dans les choix de consommation individuels ? Doit-il protéger la santé de ses citoyens contre leur gré ? Peut-il opter pour la légalisation dans le seul but d’augmenter ses recettes fiscales ? Ne doit-il pas faire tout ce qui est possible pour diminuer la criminalité provoquée par l’interdiction ?
Ressource :
https://ledrenche.fr/2017/03/legaliser-le-cannabis-en-france-1067/
Faut-il réduire les subsides aux religions sexistes ?
En Belgique, comme dans d’autres pays, les cultes reconnus sont financés par l’État. Certains estiment que l’État est alors justifié à poser des conditions à son soutien financier. Une condition imaginable serait l’absence de discriminations entre hommes et femmes de la part du culte subsidié. L’Église catholique, par exemple, recevrait moins de subsides tant qu’elle n’accorderait pas aux femmes l’accès à l’ensemble des statuts « privilégiés » (prêtre, évêque, pape). Qu’en penser d’un point de vue éthique ?
Questions empiriques : Les cultes évolueraient-ils dans leurs pratiques sous la pression financière ? Les fidèles seraient-ils offensés ? Cela conduirait-il à des regains de tension entre cultes et État ?
Questions normatives : L’État peut-il se mêler des règles d’organisation internes à un culte ? Accepterions-nous de financer un culte qui refuserait la prêtrise aux personnes de couleur ? Pourquoi est-ce différent dans le cas des femmes ? Le fait que ces règles existent depuis des siècles fait-il une différence d’un point de vue moral ? Le fait qu’elles reposent éventuellement sur des écritures considérées comme sacrées par certains devrait-il faire une différence ? Est-ce légitime de la part des cultes de vouloir à la fois un soutien financier et une autonomie totale ?
Ressource :
Cet exemple est inspiré de Ian Shapiro, « Elements of Democratic Justice », Political Theory, vol. 24, n° 4, 1996, p. 243-244.
Faut-il taxer les anglophones pour offrir des cours d’anglais à tout le monde ?
La langue anglaise se répand de plus en plus dans le monde, générant une forte inégalité linguistique entre les anglophones et les autres. Pour réduire cette inégalité, on pourrait imaginer taxer tous les anglophones pour financer des cours d’anglais gratuits à destination de non-anglophones désireux d’apprendre l’anglais. Cela soulève une série de questions éthiques, telles que : Est-il juste de taxer des personnes pour une chose qui échappe à leur contrôle (leur langue de naissance) ? Les anglophones peuvent-ils être tenus pour responsables de la mondialisation de l’anglais ? Est-il juste de les laisser en profiter même s’ils n’en sont pas responsables ? Cela enverrait-il le message que l’anglais est inévitablement la langue mondiale, qu’on ne peut rien faire pour inverser le cours des choses ?
Ressource :
Cet exemple est inspiré de Philippe Van Parijs, Linguistic Justice for Europe and for the World, Oxford University Press, 2011. Voir aussi ce bref texte en français (qui ne discute cependant pas l’idée d’une taxe).
Les joueuses de tennis doivent-elles gagner autant que les hommes ?
Dans la plupart des tournois de tennis de haut niveau, comme Roland Garros ou Wimbledon, les primes de victoire sont désormais identiques pour les hommes et les femmes. De nombreuses joueuses se sont mobilisées dans le passé pour exiger une telle égalité de traitement. Celle-ci est cependant remise en cause par certains joueurs, arguant qu’ils jouent des matches plus longs, voire plus difficiles, et qu’ils génèrent davantage de revenus. Qu’en penser d’un point de vue éthique ?
Questions empiriques : Les efforts produits par joueurs et joueuses sont-ils identiques ? Sont-ils comparables en raison des différences de capacité physique moyenne entre hommes et femmes ? Les compétitions sportives récompensent-elles vraiment les efforts ou plutôt une combinaison d’efforts et de dispositions naturelles ? Ou alors récompensent-elles seulement en fonction des revenus générés (par les entrées au stade et la télévision) ?
Questions normatives : Faut-il récompenser selon l’effort ou selon les recettes générées ? L’égalité de traitement est-elle une question de respect ? Une personne peut-elle être pénalisée du seul fait d’être dotée d’un sexe plutôt que de l’autre ? Des récompenses sportives peuvent-elles être justes ou récompensent-elles nécessairement des personnes déjà avantagées par la nature ?
Ressources :
- https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/sports/article/tennis-une-criante-inegalite-152442
- http://www.lemonde.fr/tennis/article/2016/03/21/tennis-l-egalite-des-primes-hommes-femmes-est-elle-injuste_4887245_1616659.html
Un.e enseignant.e peut-il/elle dévoiler ses convictions religieuses ?
En Belgique comme dans d’autres pays, les enseignant.e.s sont tenu.e.s à un devoir de neutralité, dont les implications sont cependant sujettes à débats. Ce devoir de neutralité interdit certainement la propagande (politique ou religieuse) en classe. Mais que devrions-nous penser du port de signes trahissant une appartenance religieuse particulière, comme un hijab, une croix apparente ou une kippa ? Peut-on considérer cela comme de la propagande ? Certains signes sont-ils plus acceptables que d’autres ? Quelles seraient les implications d’une interdiction pour les enseignant.e.s concerné.e.s ? Quel message enverrait une telle interdiction ?
Ressources :
- http://www.lalibre.be/actu/belgique/voile-il-faut-revoir-le-decret-neutralite-51b8b890e4b0de6db9ba86ad
- Jeffrey, D. (2013). "Laïcité, voile musulman et neutralité éthique", Formation et profession, 21(2), 114-118.
Un journaliste d’un média public peut-il dévoiler ses convictions politiques ?
En janvier 2018, un journaliste d’une radio publique belge a été écarté après avoir envoyé un e-mail à ses contacts, à partir de son adresse professionnelle, dénonçant la politique migratoire du gouvernement en place. Les journalistes de médias publics sont en effet tenus à un certain devoir de neutralité, au moins dans l’exercice de leur fonction ou dans le cadre professionnel. Au-delà du cas précis de ce journaliste, que penser d’une telle interdiction de dévoiler ses convictions politiques ?
La question empirique est celle de l’influence que peut avoir sur le grand public le dévoilement de ses convictions par un journaliste (populaire). D’un point de vue normatif, on peut notamment se poser les questions suivantes : Devrions-nous faire une différence de traitement entre convictions religieuses et politiques ? N’est-il pas préférable du point de vue de la transparence qu’on connaisse les convictions politiques des journalistes ? L’interdiction n’encourage-t-elle pas où une forme de manipulation plus insidieuse ? Au contraire, autoriser à dévoiler ses convictions encouragerait-il un militantisme décomplexé au détriment de l’objectivité ?
Ressource :
http://www.philomedia.be/eddy-caekelberghs-ou-le-tabou-des-preferences-politiques-des-journalistes/
En mars 2020, le magazine politique belge Wilfried a proposé un entretien avec le leader du Vlaams Belang, parti d'extrême-droite flamand, dérogeant à une convention prévalant jusqu'alors dans les médias belges francophones et consistant à ne pas donner directement la parole à des représentant.e.s de l'extrême droite ("cordon médiatique"). Pour sa défense, la magazine a invoqué sa volonté de faire comprendre à ses lecteurs le discours de ce parti, qui était alors crédité de plus de 25% d'intentions de vote. Le slogan du magazine est d'ailleurs "Comprendre, ne pas juger". Cette décision, qui a pu paraître opportuniste à certains, en raison de son potentiel commercial (booster les ventes), est-elle éthiquement condamnable ?
Questions empiriques : Quels sont les effets du cordon médiatique sur la popularité de l'extrême droite ? Sur le sentiment de victimisation de ses partisan.e.s ? Y a-t-il des raisons empiriques de penser que la rupture du cordon médiatique a de bonnes chances d'entraîner la rupture du cordon sanitaire (exclusion politique de l'extrême droite) ?
Questions normatives : Les médias doivent-ils donner la parole à toutes les opinions suffisamment répandues dans la société ? Doivent-ils agir différemment dans le cas de l'extrême droite ? De l'extrême droite uniquement ? Quelles sont les positions idéologiques qu'un média ne peut en aucun cas relayer (s'il y en a) ? Quelles sont les pratiques légitimes et illégitimes quand les médias traitent de ces sujets (reportage, interview, analyse critique) ? Les conséquences sur la popularité de l'extrême droite ou sur sa compréhension sont-elles les seules à prendre en compte ? Faut-il prendre en considération également la manière dont ces discours sont vécus par celles et ceux qui en sont victimes ? Est-ce un privilège de blancs de suspendre le jugement sur ces questions ? Le fait que le parti en question ait polissé son discours doit-il changer quelque chose dans notre évaluation ?
Ressources :
- https://wilfriedmag.be/a-propos/cordon-mediatique/ (La défense du magazine suite à la polémique)
- Une réponse de Nabil Sheikh Hassan, chercheur à l'UCLouvain
Confession de pédophilie
Un prêtre qui apprend lors d’une confession qu’un de ses confrères pratique la pédophilie devrait-il le dénoncer à la police ?
Questions empiriques : Les prêtres sont-ils tenus au secret professionnel dans le cadre des confessions ? Y a-t-il éventuellement des exceptions à ce devoir de secret ?
Questions normatives : même si les prêtres sont tenus au secret, est-ce une bonne chose ? Faudrait-il leur imposer un devoir de dénoncer les crimes ? Tous les crimes ou seulement les plus graves ? Faut-il sanctionner ceux qui ne le font pas ? Soumettre à un interrogatoire ceux qui sont soupçonnés de cacher des faits ? Serait-ce un manque de respect envers une religion ? Envers des personnes ? Est-ce contraire à la liberté de culte ? Si c’est le cas, est-ce suffisant pour considérer que le secret est légitime ?
Ressources (sur un cas légèrement différent) :
- https://www.rtbf.be/info/regions/detail_le-secret-de-la-confession-a-t-il-ses-limites-dans-des-cas-graves?id=9762711
- https://www.la-croix.com/Religion/Catholicisme/Monde/En-Belgique-secret-confession-coeur-dune-affaire-judiciaire-2017-11-15-1200892224
Faut-il dénoncer ses collègues ?
Dans le cadre professionnel, il peut arriver d'être témoin d'infractions de la loi (ou d'un code de déontologie propre à la profession) de la part de collègues. Dans un tel cas, est-il toujours moralement requis de dénoncer l'infraction, quitte à briser une relation de confiance avec un.e collègue ? Est-il suffisant de suggérer à la personne fautive de ne plus recommencer ? Cela dépend-il du contexte ? Si oui, pourquoi ?
Questions empiriques : Quel peut être l'impact d'une dénonciation sur la relation entre collègues, voire sur l'ambiance dans l'entreprise ? Quelles sont les conséquences de l'infraction ? Est-ce une infraction volontaire ou involontaire ? Motivée par un intérêt privé ou publiquement justifiable ?
Questions normatives : Ce qui est interdit est-il toujours injuste ? Faut-il obéir aux règles en toutes circonstances ? Qu'est-ce qui peut justifier moralement une atteinte aux lois ou à des règles déontologiques ? La loyauté est-elle plus importante que la légalité ? L'absence de dénonciation nous rend-elle complice de l'infraction, ou moralement responsable d'infractions futures ?
D'autres cas dans le domaine de l'éthique professionnelle sont proposés sur le site Enseigner l'éthique professionnelle.
Beaucoup de personnes travaillant dans le monde de la recherche ont des convictions politiques, plus ou moins fortes. Certaines milites mêmes dans des associations ou partis. Or, dans les sciences humaines et sociales en particulier, certains résultats de recherche sont susceptibles d'entrer en conflit avec les convictions des chercheur.euses. Imaginons par exemple un militant anti-raciste qui découvrirait que certains préjugés sur les taux de criminalité de personnes racisées se vérifient empiriquement (ce qui ne dit rien de leurs causes), ou une climatologue, militante écologiste, qui découvrirait des éléments remettant en question l'impact de l'humain sur le réchauffement climatique.
Questions normatives : Les chercheur.euses ont-ils un devoir de toujours dire la vérité ? De dévoiler tous les résultats de leurs recherches, même quand ils ne leur plaisent pas ? De les communiquer y compris au grand public ?
Hyacinte Amarante (nom d'emprunt) est chercheuse en sociologie politique. Elle fait des entretiens dans le cadre d'une recherche qualitative et s'est liée d'amitié avec une des personnes dont elle étudie le parcours de vie. Probablement en raison de cette proximité, cette enquêtée lui fait une confidence, en lui demandant de ne pas en parler. Or, cette confidence est très éclairante du point de vue du sujet de recherche de Hyacinte. Elle permet de comprendre et dévoiler des pratiques de corruption qui semblent répandues, mais sont largement tues. Peut-elle en parler dans sa thèse ?
Questions normatives : Y a-t-il des limites à la proximité qu'on peut établir avec un.e enquêté.e ? Peut-on utiliser des propos qui ont été exprimés en-dehors d'un entretien formel ? Protéger l'anonymat de l'enquêté.e est-il suffisant ou avons-nous également une obligation morale de ne pas trahir une relation de confiance ?
Faut-il sanctionner le mensonge en politique ?
L’idée qu’un.e politicien.ne puisse mentir impunément ne manque pas de choquer la population, dès lors que la représentation démocratique se base largement sur la confiance accordée par les citoyen.ne.s aux représentant.e.s. D’un autre côté, on pourrait dire que la ruse et la tromperie font partie de la politique et ne sont pas condamnables quand elles sont mises au service de causes louables. Faudrait-il dès lors prévoir des sanctions légales s’appliquant lorsqu’un mensonge serait dévoilé publiquement ?
Questions empiriques : Cela inciterait-il à l’honnêteté ? Cela créerait-il plutôt une dynamique délétère d’accusations mutuelles incessantes ? Comment distingue-t-on un mensonge d’une omission, d’une erreur de jugement ou de l’ignorance ?
Questions normatives : Un.e politicien.ne a-t-il/elle le devoir de toujours dire la vérité ? La poursuite d’objectifs moralement appréciables justifie-t-elle l’usage de moyens a priori inacceptables ? Qui devrait statuer sur les accusations de mensonge ? Quel type de sanction serait approprié/inapproprié ? La sanction électorale éventuelle est-elle insuffisante ?
Ressources :
- Élise Frêlon, « La sanction juridique du mensonge politique : proposition de droit comparé dans le temps », Institut pour la justice, n° 8, avril 2015.
- Sabrina Laubisse, « L’exigence de vérité en démocratie est un leurre venu d’ailleurs », Revue politique et parlementaire, n° 1080, 16 novembre 2016.
- Sylvain Rakotoarison, « Faut-il légiférer contre le mensonge ? », Agoravox, 9 avril 2013.
Faut-il instaurer le droit de voter contre des candidat.e.s ?
Quand les citoyen.ne.s se rendent aux urnes, il leur est demandé d’exprimer une préférence positive pour l’un.e ou l’autre candidat.e. Cependant, beaucoup ont également des préférences négatives, des candidat.e.s qu’ils/elles ne souhaitent absolument pas voir accéder à une responsabilité politique. Or, les bulletins de vote traditionnels ne permettent pas l’expression de ce type de préférence. On pourrait considérer que c’est un problème car cela permet à certain.e.s candidat.e.s abhorrés par une partie de la population d’être élu.e.s. La possibilité de voter pour et contre refléterait alors mieux les préférences de la population.
Questions empiriques : L’effet d’une telle mesure sera-t-il de privilégier les candidat.e.s médiocres, qui ne sont ni adulés par les uns, ni détestés par les autres, ou au contraire des candidat.e.s au caractère rassembleur ? Existe-t-il des alternatives permettant de mieux encore exprimer la complexité des préférences électorales ?
Questions normatives : Les votes doivent-ils capturer au mieux les préférences des électeurs/trices ? Est-il souhaitable de réduire les chances des candidat.e.s radicaux/ales ou dérangeant.e.s ?
Faut-il payer les représentants politiques au revenu médian ?
Dans la plupart des démocraties existantes, les représentant.e.s politiques jouissent de salaires supérieurs au revenu médian. L’argument principal justifiant un salaire relativement élevé est la réduction des risques de corruption. Un autre argument est la volonté d’attirer vers la politique des catégories sociales susceptibles de bien mieux gagner leur vie dans un autre emploi. Certains jugent cependant que ces hauts salaires induisent un décalage entre les conditions de vie des représentant.e.s et de ceux et celles qu’ils/elles représentent, voire une incompréhension de la réalité sociale, qui atténuerait leur volonté de s’attaquer aux problèmes sociaux liés à la précarité. Des propositions existent donc pour abaisser les revenus des représentant.e.s de la population au revenu moyen, médian, ou encore au revenu minimum. Serait-ce moralement souhaitable ?
Questions empiriques : Les risques de corruption augmenteraient-ils vraiment ? Fortement ? Quels seraient les effets sur la répartition démographique des représentant.e.s ? Le fait d’avoir un salaire plus important que la moyenne réduit-il la préoccupation pour la précarité ? Entraîne-t-il une mécompréhension de celle-ci ?
Questions normatives : La lutte contre la corruption est-elle plus importante que la préoccupation pour la pauvreté ? Doit-on chercher à attirer vers la politique ceux et celles qui sont susceptibles de toucher des hauts revenus ? Doit-on au contraire considérer la politique comme un service qui ne peut être motivé par l’argent ?
Ressources :
- Agnès Verdier-Molinié, « Baisser le salaire des ministres et des fonctionnaires : vous avez dit démago ? », Fondation IFRAP, 27 mai 2010.
- « Le débat : faut-il mieux payer nos parlementaires ? », Le Parisien, 10 mars 2017.
Faudrait-il que les partis soient financés par l’autorité publique ?
Beaucoup s’inquiètent du rôle que joue l’argent dans les démocraties capitalistes. Faire campagne en vue de remporter une élection coûte cher, ce qui pose au moins deux problèmes. Premièrement, cela désavantage d’emblée les citoyen.ne.s issu.e.s de catégories sociales défavorisées qui voudraient lancer un parti ou se présenter à leur compte. Deuxièmement, cela permet à des groupes d’intérêts privés de s’acheter une influence politique en contribuant au financement de campagnes de certain.e.s candidat.e.s ou partis. La solution la plus radicale face à ces problèmes consisterait à interdire toute forme de financement privé des partis politiques, et à ne leur accorder qu’un financement public (dont les modalités de répartition resteraient à définir). Que faut-il en penser d’un point de vue éthique ?
Questions empiriques : Quelles sont actuellement les parts respectives de financement public et de financement privé dans les comptes des partis de notre pays ? Les partis pourraient-ils ne vivre que de subventions publiques ? Quelle serait l’augmentation des dépenses publiques nécessaire pour que les partis restent viables ?
Questions normatives : Les dons à des partis doivent-ils être considérés comme une forme de liberté d’expression ? L’État peut-il interdire à une association comme un parti de demander des cotisations à ses membres ? Peut-on faire porter par l’ensemble de ceux et celles qui contribuent aux impôts le poids du financement des partis ? Ceux qui ne se reconnaissent dans aucun parti devraient-ils être exempté de payer les taxes nécessaires à ce financement public ?
Ressources :
« Avantages et inconvénients du financement public des partis politiques et des candidats », ACE project.
Faut-il instaurer des quotas de genre dans la composition du gouvernement ?
En raison de la domination masculine dans l’histoire de la plupart des sociétés humaines, la politique reste un domaine où les femmes sont généralement (largement) sous-représentées par rapport à leur proportion au sein de la population. Parmi les différentes mesures qu’on peut imaginer pour y remédier (comme l’éducation non genrée et les quotas de candidat.e.s sur les listes), des quotas de genre dans la composition du gouvernement apparaissent comme la mesure la plus forte. Que devons-nous en penser d’un point de vue éthique ?
Questions empiriques : Quelle est la proportion moyenne de femmes dans les gouvernements de notre pays ? Comment évolue cette proportion à travers le temps ? Peut-on raisonnablement croire que le problème finira par s’estomper sans recours à des quotas ? Quel serait l’effet de quotas officiels sur l’image d’elles-mêmes des membres féminines d’un gouvernement ? Sur leur image publique ? Quels sont les effets pervers de l’absence de parité ?
Questions normatives : La parité hommes-femmes est-elle essentielle à un gouvernement ? Les quotas sont-ils une bonne manière de promouvoir l’égalité ?
Ressources :
Jane Mansbridge, « Should Blacks Represent Blacks and Women Represent Women? A Contingent "Yes" », The Journal of Politics, 61 (3), 1999, p. 628-657.
Faut-il faire du commerce avec les dictatures ?
De nombreux pays démocratiques se reconnaissent une obligation de promouvoir les droits humains dans leurs relations internationales et n'hésitent pourtant pas à maintenir des relations commerciales avec des régimes dictatoriaux bafouant largement ces droits humains. La question éthique est simple - est-ce moralement acceptable ? -, mais la réponse n'est pas aussi évidente qu'on pourrait le penser, puisque les effets d'un boycott commercial ne sont pas forcément positifs pour la promotion des droits humains. Il semblerait en effet que l'isolement commercial d'un pays soit de nature à renforcer l'autorité de la dictature en place et dégrader les conditions de vie de ses habitants.
Questions empiriques : Quels sont les effets des blocus commerciaux (ou simples menaces) sur les conditions de vie des habitants ? Quels sont les effets sur le degré de protection des droits humains ? Sur la protection du régime en place (et des autres pays) par les citoyens ? Quels sont les autres moyens d'influence dans les relations internationales ? Le commerce a-t-il les vertus pacificatrices qui lui sont parfois prêtées ?
Questions normatives : Est-il préférable d'honorer les droits humains par un refus symbolique de commercer avec des dictatures ou de promouvoir ces droits par tous les moyens utiles ? Est-il moralement pertinent de s'inquiéter (ou de se réjouir) du fait que le commerce avec des dictatures soit aussi dans l'intérêt économique des démocraties impliquées ? Les exigences morales sont-elles pertinentes dans le domaine des relations internationales ? Existe-t-il un seuil minimal de respect des droits humains qui rendrait les relations commerciales (plus) acceptables ?
Source :
Chris Armstrong, "Dealing with dictators", The Journal of Political Philosophy, 24 octobre 2019. (Passage en revue de la littérature empirique pertinente et discussion approfondie des questions éthiques.)
Le Titanic
Le naufrage du Titanic fait désormais partie de l’imaginaire collectif. Lors de celui-ci, il n’y avait pas suffisamment de canots de sauvetage pour sauver tous les passagers. Deux règles de priorité ont alors été établies : 1) les femmes et les enfants d’abord ; 2) les passagers de première classe avant les autres. Ces règles de priorité sont-elles adéquates d’un point de vue éthique ?
Questions normatives : pourquoi les femmes et enfants devraient-ils avoir priorité sur les hommes ? Cela n’est-il pas contraire à l’égalité des chances (de survie) ? Ne faudrait-il pas plutôt attribuer aléatoirement les places dans les canots de sauvetage ? Ou plutôt donner priorité aux plus jeunes, à ceux qui ont le plus d’années de vie saine devant eux ? Et si les passagers de première classe ont payé plus cher, n’ont-ils pas droit à un meilleur traitement ? Imaginons que le billet de première classe inclue une assurance de priorité en cas d’accident, serait-ce acceptable ?
NB : il peut être utile d’ensuite transposer les conclusions de cet exercice au cas de l’allocation d’organes. Les règles doivent-elles être les mêmes ? Pourquoi ? Pourquoi pas ? En quoi le cas est-il différent ?
Prises d’otage
Les prises d’otage avec demande de rançon génèrent le plus souvent un dilemme tragique : faut-il payer la rançon quitte à inciter ce genre de pratique ou ne céder à aucun prix quitte à sacrifier une ou des vies humaines ?
Questions empiriques : quel est l’impact réel des paiements de rançons sur les taux de prises d’otage ? Est-il possible de payer une rançon sans que cela se sache ?
Questions normatives : peut-on sacrifier une vie humaine en vue de décourager cette pratique ? Pour des raisons budgétaires ? Pour des raisons de principe ? Cela change-t-il quelque chose s’il y a plusieurs otages ? À partir de quel nombre aurions-nous un point de vue différent ? Y a-t-il des montants de rançon acceptables et d’autres inacceptables ?
Ressource :
Bernard Baertschi, « Prise d’otages et terrorisme: l’analyse conceptuelle et normative de Joseph Bochenski », http://www.contrepointphilosophique.ch, 8 février 2009.
L'affaire Treblinka
Dans les camps d'extermination nazis, les Sonderkommandos (SK) désignaient des groupes de prisonniers chargés de tâches d'administration du camp, y compris d'assistance à l'extermination d'autres prisonniers. L’ « affaire Treblinka » éclate en 1966, lors de la parution de l’ouvrage éponyme de Jean-François Steiner. Steiner décrit la participation des SK au génocide dans le camp de la mort de Treblinka, mais pas pour les condamner : l’argumentation de Steiner vise à montrer, entre autre, que leur amour de la vie était en fait un acte de résistance, leur survie étant la condition non seulement de la préservation de la religion juive, mais aussi de la possibilité de témoigner de « ce que l’homme est capable de faire à l’homme ». Certains jugent cependant ces faits comme moralement condamnables, malgré les circonstances exceptionnelles qui étaient celles des camps. Primo Levi lui-même a toujours balancé entre le refus de juger les rescapés et l’impossibilité de ne pas condamner leurs actes. Pour J.-M. Chaumont, par exemple, on peut juger la participation des SK au génocide comme immorale tout en admettant qu’on n’aurait pas fait mieux qu’eux et que de telles circonstances sont proches d’annihiler notre liberté morale. D'autres estiment toutefois que ces circonstances annihilent ou modifient radicalement notre responsabilité morale.
Réfléchir rétrospectivement à une situation extrême comme celle-là, au-delà d'un certain dégoût que cela peut inspirer, peut être utile dans l'hypothèse où des situations extrêmes devaient un jour se présenter à nouveau à nous. En effet, on y réfléchit plus aisément quand on n'est pas dans le feu de l'action.
Ressources :
Ce cas s'inspire directement de Jean-Michel Chaumont, Survivre à tout prix ? Essai sur l'honneur, la résistance et le salut de nos âmes, Paris, La Découverte, 2017.
Voir également Jean-François Steiner, Treblinka : La révolte d'un camp d'extermination, Paris, Fayard, 1994 [1966].
Ainsi que le film Shoah, de Claude Lanzmann.
Notes :
[1] Dans un article philosophique célèbre, Judith Jarvis Thomson propose l’expérience de pensée suivante : si pendant votre sommeil on vous greffait un violoniste dans le dos, puis qu’on vous disait qu’il ne peut survivre que s’il utilise votre corps pour se nourrir pendant 9 mois, vous auriez le droit de lui refuser l’usage de votre corps. Il en va de même avec un fœtus, que ce soit une personne ou pas. « A defense of Abortion », Philosophy & Public Affairs, 1971, n° 1, p. 47-66.
[2] Le Comité consultatif de bioéthique belge s’est néanmoins prononcé de manière ambivalente sur la pratique de la circoncision masculine non-thérapeutique. Certains membres estiment en effet qu’elle porte atteinte à l’intégrité physique (étant irréversible) et pose particulièrement problème quand elle est pratiquée sur des mineurs n’étant pas en mesure de donner leur consentement éclairé. Voir https://www.health.belgium.be/sites/default/files/uploads/fields/fpshealth_theme_file/avis_70_circoncision.pdf
[3] Cependant, si cette allocation est financée par une taxation progressive des revenus, les plus hauts revenus verront leur allocation absorbée par leurs taxes.